ALPES VAUDOISES | La kératoconjonctivite, sans doute transmise par les moutons, rend les animaux aveugles. Certains s’en sortent, d’autres doivent être abattus. Et l’hiver rigoureux n’arrange pas les choses.



© CHRIS BLASER - A | ​Sa grande taille et ses cornes impressionnantes ne sont d’aucune utilité au bouquetin dans sa lutte contre la kératoconjonctivite, une maladie qui le rend aveugle. Une cécité qui l’empêche de se déplacer pour se nourrir ou l’entraîne dans une chute fatale.



Les skieurs de fond, les promeneurs en raquettes, les marcheurs en balade sur les sentiers hivernaux en croisent un de temps en temps, et ils sont étonnés de voir ainsi un bouquetin avancer à tout petits pas, tourner en rond, ou rester carrément couché, ou prostré, dans des endroits bizarres. C’est-à-dire dans un pré enneigé proche des habitations, sur un rocher peu sûr que l’animal ne quitte plus, ou à quelques pas d’un chemin et donc des humains qui peuvent alors s’approcher de lui sans qu’il ne fuie. Ce comportement inhabituel, c’est l’effet direct de l’épidémie de kératoconjonctivite qui, depuis novembre dernier, a atteint le cheptel de bouquetins des Alpes vaudoises, dans la région de la Cape-au-Moine et du Pic-Chaussy.

Dans ce massif aux sommets aigus, près de deux cents bouquetins et quarante chamois vivent en principe tranquilles, sans autre souci important que le passage des chasseurs, du lynx, voire du loup (mais on ne l’a plus vu depuis bien des mois). L’ennemi est en l’occurrence plus sournois, et très destructeur. Depuis le début de l’hiver, treize bêtes ont en effet dû être abattues par le surveillant de la faune et une dizaine d’autres sont mortes dans des endroits escarpés, après des chutes fatales.

Devenues aveugles, toutes ces bêtes ne pouvaient plus ni se déplacer ni se nourrir. La bactérie s’attaque en effet au tissu conjonctif et à la cornée, et faute de soins, l’inflammation dégénère souvent jusqu’à détruire les yeux du bouquetin. D’où vient la kératoconjonctivite? L’agent infectieux est potentiellement transmis par les moutons pendant les mois où les animaux se côtoient en montagne. Mais les moutons développent rarement des symptômes graves. En outre, ils ont la chance de pouvoir être soignés simplement, rapidement et efficacement. Pour le bouquetin, c’est autre chose: la maladie peut causer des ravages souvent en proportion avec l’âge ou la santé de chaque animal. Mais tous ne meurent pas: il arrive que des bouquetins atteints développent de faibles symptômes, puis se remettent très bien. Et il est probable, mais pas encore prouvé, que ceux qui survivent sont moins sensibles à une éventuelle prochaine épidémie qui ne manquera pas d’arriver.

Appeler le garde-chasse
En attendant que la maladie s’éteigne – pour cette fois – les gens de terrain travaillent de manière intensive pour diminuer les souffrances des animaux devenus aveugles. Au début du mois, un bouquetin s’était quasiment installé, malade, perdu dans son terrible brouillard, sur la terrasse du Restaurant de Taveyanne; il y a quelques jours, au milieu des pistes de Bretaye, un bouquetin en perdition entouré de skieurs voulant voir de près l’animal, qui lui ne voyait plus rien, ont failli se faire «boxer». Que faire, dès lors, lorsqu’on se trouve en présence d’un animal visiblement perdu, incapable de se diriger? Laisser le bouquetin (ou le chamois, plus rarement) tranquille, et appeler le garde-chasse, en l’occurrence Jean-Claude Roch, au numéro 079 230 53 49. Il pourra venir sur place, estimer l’état de santé de l’animal, voir s’il a des chances de s’en sortir, ou pas. Car les histoires sont parfois jolies: une femelle qui était restée figée pendant dix jours sur un surplomb, et semblait condamnée, a fini par se relever pour manger, avant de s’en aller tranquillement plus loin, en se dirigeant très bien!

Et puis, encore à propos de cet hiver impitoyable pour la faune: moins on sort des chemins, des sentiers, moins on va explorer les endroits encore préservés où les animaux peuvent se reposer, plus on protège ces derniers. Le froid les épuise, le manque de nourriture aussi, et la maladie encore davantage quand elle s’en mêle. Alors, si l’homme peut se montrer raisonnable et ne pas ajouter encore des maux à la liste…

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